ALZHEIMER PRÉCOCE

Alzheimer précoce, une certaine liberté qui se dessine dans l'oubli. Oublier ma personne, oublier une vie entière, les remords, les regrets. Oublier les actes manqués, les chemins escarpés. Je voudrais tout effacer, tout recommencer. Tant d'innocence malmenée... J'efface d'un premier jet, les mandarines en rebord de comptoir, les journaux amassés, la vaisselle sur l'égouttoir, les traces de lait échappé. Un brin de vie pour un brin d'oubli, un brin de liberté, le goût de tout recommencer. 
 
Les lignes du plancher se mêlent, disparaissent peu à peu, un nouveau monde qui se dessine, loin de tout, loin de moi. J'oublie les dernières bribes de mon existence. Les amitiés naissantes, les connaissances. Les sorties tard le soir, les promenades en char. Les regards échangés, les sourires adressés. Les émotions valsantes, les situations malaisantes. J'échappe un monde pesant, affligeant ; mes peines, mes souffrances.
 
Il ne reste de mon appartement que la sensation des coussins comme assise. Le reste, tout a disparu, tout. Le monde n'est plus que le reflet de lignes dans l'espace-temps : des hallucinations. Ma main aussi disparaît, peu à peu, je m'efface, du bout des doigts jusqu'à mes paumes, mes poignets, je disparais. Mes affronts et mes peurs, mes faiblesses, mes détresses. Tout s'envole. Mon passé... il disparaît. L'abandon... envolé. Les tortures mentales, les pensées... arrachées. Ma paradoxalité... décimée. Je disparais... Alzheimer précoce.
 

Hélyo James, 8 décembre 2021